Eau touristique, eau domestique
La pêche est une activité
importante dans la
plaine de la Lys. Le canal
connaît des amoureux
immobiles et d’autres
navigants. Il existe une
sorte de décalage entre
le regard patient des
pêcheurs et l’abandon
des fossés au droit des
zones urbanisées.Vivre
la plaine, c’est vivre avec
l’eau.
La plaine de la Lys semble appartenir à ces paysages tout
à la fois immuables et intemporels à force de répétition,
manifestant un étrange équilibre entre terre agricole et
habitat. Comme souvent lorsque le regard demeure sur la
peau des choses, la plaine semble marquée d’une certaine
inertie. Les changements interviennent comme autant de
touches ponctuelles dans un tableau pointilliste : ils ne
deviennent perceptibles qu’après un long délai, par effet
d’accumulation. Cette apparente résistance aux évolutions
peut être expliquée par la souplesse intégratrice de ces
paysages horizontaux qui semblent pouvoir tout absorber,
chaque élément nouveau n’ayant qu’à « s’habiller »
d’une simple bande boisée. Mais cette souplesse n’est
qu’apparente, puisque objectivement - au prix s’il le faut
d’une interprétation par photo-aérienne - les mutations de
ce paysage sont indéniables.
Ce qui pourrait être décrit comme le « risque majeur », tient
à la nature de l’urbanisation. Les paysages de la plaine
doivent beaucoup aux successions de plans, comme les
rideaux d’une immense scène dressée en plein air. En raison
même de l’horizontalité des sols, la fermeture des premiers
plans, par la construction de maisons individuelles, suffit à
réduire ces paysages… à une banale rue de lotissement !
Si l’urbanisation devait se poursuivre « au fil de l’eau »
(rarement cette expression n’a eu autant de sens tant ici le
fil du chemin suit celui de l’eau), les déplacements au sein
de la plaine de la Lys s’apparenteraient de plus en plus à
des « corridors de briques » fermant toute perception de la
réalité intime et agricole des paysages. La physionomie
des villages ruraux s’en trouverait également bouleversée,
déroulant des kilomètres de routes bordées de maisons
que seules des voitures peuvent rejoindre faute d’avoir
réalisé des trottoirs. Quel sera alors le paysage « vécu
ensemble » des habitants de cette plaine, chacun vivant
isolément loin de toute centralité organisée, dans une bulle
jardinée perdue au coeur d’un labyrinthe étonnant, comme
un gigantesque lotissement périurbain ?
l’évidence, l’avenir agricole de la plaine est
inextricablement lié à ces évolutions. Derrière une agriculture
qui paraît encore florissante, c’est la question cruciale de la
concurrence foncière qui émerge. La plaine de la Lys n’est-
elle pas potentiellement un quartier de la métropole lilloise
de demain ? Un quartier chic dans le premier rayon de
proximité, puis progressivement plus populaire à mesure
que la distance augmente… L’enjeu est d’importance, mais
les réponses ne peuvent être stéréotypées. Comment
penser l’avenir d’un territoire qui a cultivé à ce niveau
l’imbrication entre ses différents usages ? Comment
échapper aux modèles urbains qui partout perdent en
validité, basés sur une campagne strictement séparée de
la ville. La question ici n’est pas de définir les « limites » de la
ville. Il s’agit - dans un effort de réappropriation du collectif - de poser les bases d’une campagne urbanisée et active,
capable d’assurer à chacune de ses parties de vraies
conditions de durabilité.
La question de l’eau pourrait servir de témoin à ce
renouveau d’un paysage transformé au bénéfice de chacun
de ses membres. L’eau n’est pas uniquement une question
agricole. Elle n’est pas non plus entièrement industrielle,
navigable ou encore vouée aux loisirs. La disparition
objective de l’eau ruisselante par toutes les techniques de
drainage et de busage constitue sans doute une solution de
facilité, mais au-delà des conséquences paysagères, il y a
toujours à perdre à mettre les problèmes sous le boisseau.