Les principales sources
L’analyse éco-paysagère s’appuie sur les concepts d’écologie
du paysage. Cette discipline est apparue assez récemment en France sous l’impulsion d’une double école franco-américaine (GODRON & FORMAN, 1986 ;
FORMAN, 1995), puis reprise plus récemment par BUREL &
BAUDRY (1999). L’écologie du paysage a été très rapidement
considérée comme une discipline nouvelle, la science du paysage, voire une deuxième culture de l’écologie basée sur une théorie intégrant des éléments dépassant largement l’étude de la nature, puisqu’elle inclut
également l’aménagement et la gestion des territoires.
Cette approche s’inscrit à la charnière de la biogéographie et de l’écologie traditionnelle et s’intéresse aux milieux à des échelles intermédiaires à ces deux disciplines. L’écologie traditionnelle s’intéresse aux milieux unitaires et aux parcelles du paysage. La biogéographie étudié les phénomènes biologiques à l’échelle des grands biotopes et des continents. L’écologie du paysage s’intéresse typiquement aux unités paysagères que l’on peut appréhender depuis des échelles moyennes : son instrument de travail de base est la photographie aérienne ou, à plus petite échelle, l’imagerie satellite. De ce fait, elle aplanit généralement l’orographie qui est un facteur essentiel en écologie classique et qu’il faut parfois compenser par un examen des cartes topographiques.
Domaine de l’écologie s’intéressant aux milieux hétérogènes occupant une échelle géographique étendue, l’écologie du paysage est l’outil idéal pour approcher sur le plan écosystémique une région entière. L’écologie du paysage s’applique donc à l’étude des éco-complexes, groupements d’écosystèmes à une échelle « régionale » et se mesure généralement en kilomètres. Comme elle s’applique à des enveloppes de référence sensiblement plus grandes que l’écologie classique et qu’elle prend en compte également la notion dynamique, l’écologie des paysages permet d’atteindre une dimension non plus seulement descriptive (les espèces remarquables et/ou menacées) mais également fonctionnelle des écosystèmes. Elle permet également d’intégrer tous les espaces interstitiels longtemps laissés en blanc sur les cartes écologiques. En effet, toutes les composantes éco-paysagères simples, les champs cultivés. les prairies, les chemins, les fossés, les bords de route. les friches industrielles et urbaines, peuvent à présent être intégrés dans une analyse globale des paysages intégrant l’hétérogénéité et la dynamique comme composantes essentielles.
L’entièreté de la Région Nord - Pas-de-Calais et de ses
milieux est à rattacher aux paysages en mosaïque, selon Forman (1995). Le fonctionnement écologique des paysages en mosaïque repose sur le concept tâche-corridor-matrice.
Dans ce modèle :
– la tâche (ou cellule) est un ensemble relativement homogène, non linéaire, dont les caractéristiques diffèrent de son environnement (exemple : un point d’eau dans un bocage, un boisement dans les cultures, un village dans une trame agricole, …),
– le corridor est un milieu, le plus souvent linéaire et continu, qui diffère des milieux qui le bordent de chaque côté (exemple . un canal et ses berges herbeuses entrant dans un tissu urbain, une haie ou une bande boisée dans un paysage ouvert, …),
– la matrice est constituée par l’écosystème d’amère plan, c’est-à-dire le milieu dont l’occupation du sol est dominante dans un espace donné (exemple : le tissu urbain, les cultures, …).
Ce modèle s’applique, à de très rares exceptions près à l’ensemble des milieux naturels, semi-naturels et artificiels de la région Nord – Pas-de-Calais. Outre cette structure fondamentale constituant les éléments éco-paysagers de nos paysages, plusieurs autres notions fondamentales dérivées de l’écologie du paysage vont nous servir à faire le diagnostic des paysages régionaux.
La fragmentation (ou le morcellement) de l’espace est une notion très importante. Elle résulte de la multiplicité des infrastructures artificielles qui, chacune selon ses propres effets, découpent le paysage régional en cellules unitaires, plus ou moins isolées les unes des autres sur le plan du fonctionnement écologique. La mise en valeur agricole très ancienne, de prime abord, l’industrialisation et l’urbanisation très importantes ensuite au XIXème siècle, avec leur corollaire, un développement tentaculaire des voies de communication (voies ferrées, routes, autoroutes, lignes électriques, canaux aux berges artificialisées, etc.) qui n’a fait que se déployer tout au long du XXème siècle, ont conduit à un morcellement extrême des paysages. Une simulation informatique menée par la Direction de Plan et de d’Évaluation du Conseil Régional Nord - Pas-de-Calais a ainsi estimé que la région était découpée en plus de 4 millions de cellules isolées les unes des autres par des barrières artificielles. La fragmentation de l’espace a été identifiée à l’échelle mondiale comme l’un des trois facteurs principaux de l’érosion de la biodiversité (PRIMACK, 1997).
Ce facteur de morcellement détermine donc des conditions de variabilité spatio-temporelle dans les paysages naturels. La dynamique des milieux naturels résulte alors en partie du fonctionnement en métapopulations (groupe de populations de la même espèce qui échangent des gènes). La dynamique et la structuration, voire la survie, des populations des espèces sauvages dépendent alors de la présence, du nombre, de l’efficacité et de la structure des interfaces entre les différents milieux constituant la mosaïque et des possibilités de mobilité pour les espèces au sein de la matrice et entre les différentes tâches. D’ou l’importance majeure que l’on a récemment attribuée aux corridors écologiques qui constituent de véritables infrastructures naturelles et permettent aux espèces de survivre dans un paysage morcelé.
La notion de grain du paysage définit la texture d’un environnement, sous la forme de la taille élémentaire des éléments éco-paysagers constitutifs. Les systèmes à grain fin ont principalement de petits éléments (exemple, le bocage du Bas-Boulonnais), tandis que les systèmes à grain grossier (exemple, l’Artois Ouest) sont principalement constitués de cellules élémentaires de grande ou moyenne taille. Le grain d’un paysage induit les grandes règles de fonctionnement des systèmes éco-paysagers. Les paysages à grain fin sont généralement stables dans le temps et dans l’espace, homogènes et génèrent des flux très nombreux mais à faible distance (intra- ou inter-cellulaire), c’est le cas du bocage par exemple. l’inverse, les systèmes à grain grossier sont généralement instables. hétérogènes et entraînent des flux, physiques, génétiques. ou biogéochimiques à grandes distances (c’est le cas des mosaïques des openfields de l’Artois émaillés de grands boisements).
La notion d’hétérogénéité recouvre la distribution spatiale inégale, non aléatoire, des éléments du paysage. Elle désigne, à une échelle spatiale donnée, l’existence d’une irrégularité dans la structure physique du milieu ou encore dans les conditions microclimatiques locales. L’hétérogénéité des paysages du Nord - Pas-de-Calais a été, dans la quasi-totalité des cas, accrue par l’action de l’Homme dans un premier temps à l’échelle histonque (par la mise en valeur agncole qui a défnché et diversifié de vastes espaces boisés), puis, simplifiée, plus récemment (par l’intensification et l’uniformisation des pratiques agncoles et donc des terroirs).
Les connexions biologiques
L’armature des connexions biologiques à l’échelle du Nord – Pas-de-Calais se décompose en plusieurs entités que l’on peut identifier selon la hiérarchie suivante :
– la frange littorale et l’Avesnois assurent des connexions biologiques à vocation supra-régionale, nationale et internationale. Ce sont des corridors écologiques majeurs et dont la continuité doit être évidemment pérennisée à long terme ;
– le Haut Artois, le Boulonnais, la Flandre maritime, la cuvette audomaroise, la plaine de la Lys et la plaine de la Scarpe renferment des corridors biologiques à
vocation infra-régionale,
– enfin, toutes les autres régions naturelles possèdent des corridors à vocation locale.
Toutes les notions d’écologie du paysage pré-citées sont bien évidemment fonction de l’échelle de travail à laquelle on se place.
On va pouvoir aborder à présent les grandes lignes de l’écologie des éco-complexes, entités qui correspondent à la notion de grands paysages.
Les limites proposées pour séparer ces éco-complexes sont bien évidemment arbitraires dans certains cas, car en matière d’écologie du paysage on a le plus souvent affaire à des gradients de transition plutôt qu’à des coupures nettes.