Habiter l’immense
Nombreuses sont les constructions humaines qui défient ou jouent - imposantes ou dérisoires - avec le vent, les embruns, le sel : digues et jetées, blockhaus et Mur de l’Atlantique, fascines de ganivelles, cabanes, paravents et autres tentes, cerfs volants, chars à voile…
L’activité industrielle qui marque la bordure Ouest dunkerquoise
fait parfois retomber sur ce « paysage-fer » une pluie d’acier qui
colore de rouge le pare-brise des voitures. Cette réalité, qu’on
ne peut qualifier de totalement urbaine puisqu’elle possède
son lot de friches et d’espaces « néo-naturels », est aussi
incontournable que la mer qui lui fait face. Plusieurs facteurs
y contribuent. Si certains, comme le mystère alchimique de la
transformation du minerai, sont quasi symboliques, d’autres en
revanche sont plus strictement géographiques, comme le fait
que les silhouettes des usines soient visibles à la fois par les
marins, les baigneurs de Malo, les automobilistes venus de
Lille par autoroute ou encore les passagers du TGV tout juste
délivrés du tunnel sous la Manche.
Mais, il ne faudrait pas enfermer le cordon dunaire littoral dans
l’emprise exclusive de cette imagerie industrielle. C’est que
la chose a son corollaire, son reflet en « négatif », son double
contradicteur, aussi radical dans sa pureté naturelle que le
monde complexe du travail du métal et des activités portuaires.
On veut bien sûr évoquer ici les interminables plages de sable
qui caractérisent ce littoral des villages et des campagnes.
Véritables immensités dignes du plus vaste des déserts, les
plages révélées par la marée basse sur cette partie du littoral
ou l’estran est très large sont proprement gigantesques. Tantôt
leur planéité parfaite permet le déploiement de ces cerfs-
volants terrestres que sont speed-sails et chars à voile, tantôt
elles sont, en fonction du vent et des courants, ponctuées
de bâches ou ridées de petites vaguelettes de sable qui les
transforment en immenses vasques pétrifiées.
Contigu à ces grandes étendues en deux dimensions, le
cordon dunaire peut se prévaloir d’une variable supplémentaire
: le relief. La dune est un paysage-matière modelé par les
éléments, un paysage inscrit dans une temporalité très
longue, quasi géologique, même si certaines évolutions sont
perceptibles à l’échelle d’une vie. Les éléments constitutifs
du paysage dunaire sont presque réductibles à une équation
physico-mathématique. la base un élément simple, le grain
de sable, envisagé comme une totalité mouvante au grain
près. C’est la mer qui apporte sans cesse cette unité de base
en quantité, sachant que la mer du Nord possède au travers
de ses bancs de sables de véritables dunes sous-marines.
Ensuite vient un principe de transformation, une force motrice,
le vent, ou plus exactement les vents qui forment et déforment
sans cesse cette masse fongible pour lui donner une forme qui
n’est jamais totalement définitive. Jusqu’à ce que la végétation
naturelle ou implantée à des fins conservatoires vienne la fixer
comme une photographie.
Paysages portuaires
Les ports de Dunkerque et de Calais appartiennent à la mémoire nationale. Dunkerque en souvenir de la guerre et en raison de son port autonome et Calais en vertu des échanges avec la Grande Bretagne.
Mais cette célébrité n’est que « verbale » … bien imprécises sont aujourd’hui les images de ces ports étendus, complexes, abandonnés ou reconquis.
Ainsi, les Britanniques connaissent et fréquentent sans doute davantage Calais que les Français.
Les paysages des dunes de la mer du Nord déclinent à l’infini
cette ondulation gracieuse d’un sol sculpté par le vent. Plus
à l’arrière, l’oeil n’est pas assez affuté pour découvrir ce que
nous livre la toponymie : une succession de bancs de sable
ou de rares galets sur lesquels prendre pied, bâtir maison.
D’une manière qui ne peut taire son parti pris, le choix des
paysages littoraux s’ancre dans un ressenti permanent de la
grande voisine. Des pâtures qui bordent la dune ponctuées
d’arbres maigres, penchés. Des champs traversés de digues,
fétiches témoignages de luttes anciennes… oubliées. Des
villes étranges, savants mélanges de grâces balnéaires, de
maisons de pêcheurs devenues rares, d’habitat ouvrier, de
fermes esseulées. Le littoral du Nord, fil tendu entre plaine
et mer, est source d’une très douce mélancolie, mélange de
solitude et d’odeur de frites, de déclamations poétiques et de
châteaux de sable.