L’aubépine : ancêtre du fil de fer barbelé
L’aubépine est un végétal
commun des campagnes
françaises. Sa longévité
séculaire a favorisé son
usage pour borner les
terres ; ainsi, trouve-
t-on des aubépines
conduites en haute-tige
au milieu des champs
plus au Sud en Picardie.
En matière de haies
bocagères, l’aubépine
doit sa célébrité sans
doute à ses épines, mais
également à sa grande
résistance à la taille.
Ce sont les tailles répétées réalisées sur les arbustes
et sur les arbres qui donnent au bocage avesnois ses
caractéristiques propres. Il suffit, pour s’en convaincre,
de convoquer les images mentales des « autres » bocages
français, souvent plus célèbres. Le bocage avesnois ne
présente pas les silhouettes pliées par le vent des bocages
normands ou bretons. Il n’existe pas ici d’arbres taillés en
émondes, qui dresseraient leurs troncs dénudés et couverts
de brindilles jusqu’au ciel, comme cela est fréquent en
Normandie intérieure. Les haies avesnoises ne sont que de
lointaines cousines des haies limousines ou du centre de la
France, qui semblent des forêts linéaires mêlant arbres de
toutes tailles et arbustes, et sont encore plus éloignées des
haies lithiques des bocages d’Ouessant. Enfin, mais cela
concerne moins directement la conduite du végétal, les
haies d’ici sont rarement plantées sur des talus de grande
hauteur comme en Bretagne…
Tous ces paysages sont des bocages qui ont en commun
de solliciter avec une grande régularité la main de l’homme.
Ainsi, se dégage la grande difficulté liée à la préservation
de ces paysages : il importe non seulement de protéger la
« haie », mais également le « geste » qui l’entretient. L’image
d’un bocage abandonné ou négligé donnerait à voir des
haies hirsutes, gagnant bientôt sur les patûres qu’elles
sont censées enclore. C’est bien la taille qui est garante
de la forme du bocage, mais également de son « efficacité »
agraire. Lorsque le barbelé se répandit en France aux
alentours de la seconde guerre mondiale, il fut baptisé
de « vacher » dans de nombreuses régions. L’allusion était
claire ; avec une clôture de barbelés, la surveillance du
bétail était enfin assurée. Le bocage avesnois, avec ses
haies d’aubépines plessées de main d’expert, est sans
doute né quelques siècles avant le barbelé. Il recherche
avec une plante à épines un effet similaire, qui limite la
surveillance quotidienne du troupeau.
La haie taillée à hauteur d’homme donne au bocage son
aspect labyrinthique tout en hiérarchisant les plans qui
s’offrent à l’observateur. Comment dire la beauté des
arbres de haute tige dont le tronc vient s’enchâsser dans
une haie sur le fil de laquelle ils sont alignés ? Comment
oublier l’émotion provoquée par le subtil jeu de fenêtres
gigognes que constitue l’entrée des pâtures ? Cette beauté
renvoie à des savoir-faire, à des pratiques et à des usages
qui tendent à disparaître. Seule l’émergence de nouvelles
pratiques et de nouveaux usages permettront l’entretien
de ces structures végétales et la création de nouvelles
haies … sans doute génératrices de nouveaux paysages
bocagers !
La haie taillée est à l’origine de la dimension extrêmement
graphique du paysage avesnois. D’une part, elle constitue
un maillage régulier et presque mathématique. D’autre part,
elle joue le rôle d’un piège à ombres - l’ombre hérissée du
feuillage dense et du bois noir de l’aubépine, l’ombre portée
sur le sol les jours de soleil - qui met en valeur le vert tendre
des pâtures et le feuillage vibrant des arbres. En hiver,
lorsque les branches sont à nu, il ne subsiste du bocage
que son squelette, sa structure régulière et géométrique qui
s’enrichit d’un jeu de transparences.
La taille est en outre la garante de l’incarnation des
paysages avesnois. S’opérant en morte saison, elle innerve
le paysage d’une présence humaine. Elle signe également
la marque d’un « paysage de la main » et non d’un paysage
de la machine. L’oeuvre de l’homme y est artisanale et non
mécanique ; le bocage est bien à l’opposé de la grande
plaine façonnée par le tracteur, c’est un paysage sculpté…