Pollutions des cieux
Voir les étoiles la nuit est devenu presque
impossible dans la Région en raison
de l’intensité des émissions lumineuses
liées à l’éclairage public essentiellement.
Le jour, ce sont les traînées d’avion qui
zèbrent sans cesse le ciel, le privant de ses
courbes naturelles pour imposer la ligne droite…
L’impact du ciel et de sa couleur sur la perception des
paysages des Grands plateaux est énorme. La légèreté
d’une campagne riante peut en quelques heures céder
la place à l’ombre immense, écrasante et mouvante
des nuages qui galopent sur les champs à une vitesse
impressionnante. Les bourgeonnements orageux de la
fin de l’été, qui forment parfois des nuages de plusieurs
kilomètres de hauteur, donnent au plateau sa chaîne
de montagnes nébuleuses qui constitue réellement une
troisième dimension du paysage dans le sens vertical.
Le mauvais temps n’arrive jamais par surprise dans ces
paysages météoriques ou les nuages d’altitude annoncent
les perturbations hivernales, et les ciels assombris les
giboulées de mars. Le ciel fait donc partie du paysage,
il en constitue à la fois le théâtre et une dimension
mouvante, évolutive, à la lueur de laquelle les paysages
terrestres sont contextualisés. Il détermine également
l’humeur des hommes dont il fait courir le regard vers le
haut et vers l’absolu.
L’autre acteur transversal de ces paysages est l’horizon.
Point de contact entre le ciel et la terre, il constitue une
donnée visuelle fondamentale dans la perception des
paysages artésiens et cambrésiens. Tout d’abord, car
il revêt une forme particulièrement épurée, la rencontre
linéaire entre le ciel et un sol presque invariablement
horizontal, dénuée de tout relief ou de toute présence
occultante. Ainsi il n’est jamais totalement absent du
paysage, et se confond pratiquement avec le point le
plus lointain vers lequel l’observateur peut voir. Aucune
forêt, colline ou haie ne privant de ce spectacle, l’horizon
offre une sorte de limite mentale bornant imaginairement
le plateau qui apparaît, comme dans les représentations
pré-coperniciennes du monde, comme un gigantesque
disque posé dans le ciel.
Mais sa présence est également une contrainte pour
tout ce qui habite ces paysages. Le moindre détail
vertical y prend une importance démesurée, car venant
briser la pureté des lignes lointaines. Il en est ainsi des
installations « micro » industrielles -cheminées, entrepôts
recouverts de shed, châteaux d’eau- mais également
des attributs de notre modernité commerciale -panneaux
publicitaires, « boîtes à chaussures », lignes électriques-
dont la présence n’est rendue que plus prégnante, et
dont seul un travail d’intégration paysagère peut tenter
d’en travailler les stigmates. Dans ces paysages tout ou
presque se joue dans les limites, lors de la confrontation
entre « l’habité » et le « désert ».
En effet, cette forte sensibilité des paysages à tout
élément vertical peut être aussi un atout pour son
humanisation. Il en est par exemple ainsi des clochers
d’églises des villages, des rares arbres isolés qui jouxtent
les fermes, et surtout des alignements de peupliers du
côté du Cambrésis ou des alignements le long des routes
du côté artésien.
Évoquer les cieux et l’horizon sur les hauteurs des
Grands plateaux peut sembler décalé, lorsque la chanson
de Jacques Brel nous attirerait davantage vers la Flandre
maritime. Partout dans la région Nord - Pas-de-Calais, le
ciel et ses magnificences justifieraient les éloges. Il semble
pourtant que peu d’autres paysages régionaux présentent
cette puissance et cette évidence d’évocation quant à
l’immensité marine, quant à l’immensité céleste…
Jusqu’au canal que l’on retrouve grâce à l’Escaut, sans
doute trop riant dans sa partie amont pour mériter quelque
pendaison que ce soit !