L’élément-phare de ces grands espaces agricoles, le labour,
fut longtemps caché derrière les productions agricoles qu’il
permettait : le blé, les céréales, la betterave ou encore la
pomme de terre. Il est pourtant probable que ces terres ont été
conquises et ouvertes à l’araire de très longue date. La densité
des découvertes de sites de villas romaines en Picardie ou
dans la région témoigne de l’importance du maillage de ces
domaines agraires et déjà céréaliers.
La littérature est plus abondante pour décrire le travail des
champs. Mais, en images, la blondeur des blés met de l’or dans
les vastes paysages des batailles ou des abords urbains… et
dans le pays ! Le labour est un geste mécanique, qui imprime
une rectitude que seul un homme peut reproduire à l’infini, sur
des hectares. Il s’agit d’un travail de sculpture, aujourd’hui
réinterprété par les artistes contemporains du Land Art.
Le XIXème siècle apparaît comme un tournant quant
à la représentation de ces paysages. Le siècle aime
passionnément représenter les richesses agraires régionales.
Mais les représentations se cantonnent dans un style un peu
emphatique : la mise en scène des générosités de la terre
associées à la métaphore de la mère au physique avantageux
qui porte dans ses bras des gerbes de blé sur un sol jonché
d’énormes betteraves dégoulinantes de sucre ! Dans ces
représentations stéréotypées, la terre n’est pas ou peu
représentée concrètement, ni les saisons de travail qui furent
nécessaires à la production de ces richesses, qui se trouvent
métamorphosées en véritable dons du ciel.
La Via Francigena
Cette route qui partait
d’un port de la côte
de la mer du Nord,
traversait les villes de
Guînes, Thérouanne,
Bruay, Arras, Cambrai,
Reims, Besançon,
Pontarlier, Lausanne,
Aoste, Pavie, Plaisance, le
Col de la Cisa, Lucques,
Sienne, Bolsena et Sutri
pour arriver à Rome. La
Via Francigena devient
rapidement un grand
axe de pèlerinage ou se
croiseront des millions
de pèlerins, favorisant les
échanges intellectuels à
travers l’Europe.
Mais le XIXème siècle est également celui de la critique sociale
; la société et singulièrement ses élites artistiques commencent
à s’interroger sur la pauvreté sociale. Ce contexte donne
naissance à la figure des enfants et des jeunes gens glaneurs
et glaneuses, les reins courbés par le labeur. Ce genre obtient
bientôt un tel succès que l’on voit enfin représentés les champs
ou se commettent ses cueillettes rigoureusement encadrées
juridiquement. La photographie de Quentin ci-contre montre la
continuité du motif de la peinture à la photographie, avant que
le sujet ne fasse l’objet d’un film d’Agnès Varda qui témoigna
de la permanence de cette forme de survie basée sur les fruits
perdus du labeur agricole.
Enfin, le XIXème est également le siècle du bucolique rural
déniché dans les moindres recoins de nos campagnes :
chemins creux, bords des rivières, prairies au sortir du villages,
etc.
Les deux guerres du XXème
oublient le plus souvent de
« montrer » les paysages
ruraux ; les images des
villes détruites frappent
davantage
l’imagination.
Les milliers d’obus, les
kilomètres de lignes de front
ne trouvent guère d’autres
représentations que les
cartes des livres d’histoire,
ponctuées de date de
batailles et de mouvements
de troupes… Une fois la
paix revenue, les cimetières
militaires proposèrent des
havres de verdure ou l’alignement des tombes accompagne
la rigueur parallèle des sillons… En parcourant ces allées en
quête de mémoire, les nombreux visiteurs de ces cimetières
ne donnent-ils pas naissance au paysage du plateau qui fût
finalement peu représenté pour lui-même et qui appelle peut-
être ce léger décollement du sol, cette lévitation mentale juste
un peu au-dessus du monde ?