Atterrir
Relever l’eau, tel était
le travail principal des
moulins ! Les géants ailés
de ces paysages en sont
ainsi également la figure
emblématique. Exonder,
assécher, atterrir, tels sont
les mots de la conquête.
Les artistes semblent avoir été plus attirés par les illustres
voisins de la Plaine maritime que par son coeur rural. Ainsi,
ont-ils davantage mis en scène les grandes villes côtières
et le littoral - y compris le littoral industriel-, ou encore
la ville de Saint-Omer. La plaine apparaît peu encline à
susciter l’expression plastique. En revanche, l’histoire et
la géographie se penchent avec fascination, avec force
commentaires et représentations, sur ce territoire et ses
institutions au premier rang desquelles il convient de
citer l’institution chargée de gérer l’eau : les fameuses
wateringues. C’est donc
une imagerie technique
qui symbolise la plaine
maritime, plus que les
différentes formes de
poésie rurale, mâtinée de
bucolisme ou d’ethnologie
qui s’expriment dans
d’autres Grands paysages
régionaux.
« Livré à lui-même, le paysan de la plaine était donc impuissant
à se débarrasser de ses eaux. Mais, associé à ceux qui
l’entourent, participant à l’entretien de fossés de grande
ouverture ou aboutiraient ses watergangs, aidant à la
construction de l’écluse par laquelle l’eau de ses terres gagnera
la mer, contribuant au salaire de l’éclusier chargé de la délicate
manoeuvre, il peut assécher son sol. L’association est la seule
forme possible de la lutte contre les eaux dans la plaine. Cette
association, c’est la wateringue. »
R. Blanchard, La Flandre
Beffrois
Les villes sont rares
au coeur de la plaine,
Bourbourg composant
l’exception. Mais les
bordures les voient
se succéder : Bergues,
Dunkerque, Gravelines,
Calais…
Les grandes étapes de
l’histoire des wateringues
renferment
en
effet
toute la spécificité de la plaine maritime et les ressorts
de son identité profonde. Terre de conquête, la plaine dit
sa fidélité dans le maintien d’une organisation sociale et
technique de lutte contre l’eau qui remonte au XIIème s. Au
commencement, ici à l’époque romaine, seuls certains îlots
- au sens propre du mot -étaient habités, le reste du territoire
étant soumis au régime des marées et donc sous les eaux
deux fois par jour. Au bas Moyen-Âge, un changement
climatique (déjà !) suffit à inonder entièrement la plaine.
L’Aa forme alors un grand delta qui s’étend de Saint-Omer
au Sud à Calais et Nieuwpoort, respectivement à l’Ouest et
à l’Est. Progressivement, la mer recule et le fleuve s’écoule
sous forme de bras qui libèrent des espaces pour les
installations humaines, essentiellement agricoles, mises
installations humaines, essentiellement agricoles, mises
hors d’eau par des travaux de digue et de remblaiement
sans cesse recommencés. Comme souvent, les prémices
d’une gestion rationnelle de la question hydraulique sont
imputées aux moines des abbayes, ici bénédictines. Mais,
le moment-phare correspond à la création en 1169, par
Philippe d’Alsace, des wateringues, dont le premier objectif
est de gérer les entrées
d’eau salée consécutives
aux tempêtes, qui laissent
les terres stériles et provoquent de terribles famines. Wateringue signifie « cercel d’eau », le programme politique est contenu dans le nom même de l’institution ! Gérer les eaux dans la plaine, c’est tout à la fois empêcher l’eau
salée d’entrer et permettre à
l’eau douce de sortir. Pour mener à bien cette quadrature
du cercle, des digues sont dressées contre la mer et les
eaux douces sont canalisées. Le débouché des canaux
est rigoureusement aménagé : des portes ferment l’accès
aux eaux marines à marée haute, des vis d’Archimède
remontent l’eau douce afin de la rejeter dans la mer. Les
principes vitaux de cette plaine sont donc assez simples. Le
maintien de l’organisation pour maîtriser l’eau depuis plus
de huit siècles témoigne à l’évidence de la nécessité du
geste collectif dans cette aventure humaine.