Histoires d’arbres
Durant la Seconde guerre
mondiale, le caractère
inondable du secteur fût
utilisé stratégiquement
par les Allemands qui, en
détruisant les ouvrages,
laissèrent l’eau de mer
pénétrer dans la plaine.
Ces entrées marines
n’ont pas favorisé la
longévité des végétaux,
en particulier des arbres.
Des images d’avant-
guerre montrent paraît-il
les principaux canaux
de la plaine bordés de
vieux ormes. Sans doute,
ces derniers auraient-
ils succombé quelques
décennies plus tard à la
graphiose…
L’agriculture du Grand paysage régional de la Plaine
maritime est sans conteste intensive, à la mesure de l’effort
consenti pour l’arracher aux marécages. ce titre, le petit
marais de Guînes, au pied de l’Artois, évoque peut-être les
paysages « d’avant ». Avant l’aménagement hydraulique
complet de la plaine, l’herbe seule permettait la valorisation
agricole des sols. C’est l’assèchement progressif, qui
a permis aux fermes isolées, assez peu nombreuses,
d’orienter leur production vers les plantes sarclés, les
céréales. Les granges imposantes, anoblies par de hauts
rideaux de peupliers, semblent dominer les étendues
cultivées alentour. Si au premier abord les labours dominent
de façon uniforme sur une terre sans relief, l’omniprésence
de l’eau, qui se joue ici sur un mode particulier, singularise
radicalement cette plaine aux contraintes si pressantes.
Le rapport à l’eau est encore renouvelé par rapport aux
autres paysages marqués par cet élément (Audomarois,
Scarpe, Lys…). On pourrait évoquer à son sujet l’image
d’un conflit permanent mais désormais pacifié, comme
une guerre continuée par d’autres moyens. Ces paysages
sont le théâtre d’une lutte immémoriale entre la terre et
la mer, sur fond d’enjeux humains, une lutte entre deux
amis fratricides qui n’ont jamais vraiment perdu ou gagné.
Les multiples canaux, ponts à bascule, écluses, fossés,
remblais et ouvrages métalliques habitent ces paysages
comme autant de fronts stabilisés ou de check points, et les
font échapper au statut banal de plaine céréalière. Qu’on
se le dise : « Il n’y a pas d’agriculture ici sans aménagement
hydraulique ! ».
Le parcellaire agricole témoigne de cette
injonction hydraulique : ce sont les watergangs qui dictent
la trame du paysage. L’eau sillonne sur ses chemins de
traverse, errances qui ne doivent rien au hasard, mais
tout à pugnacité de la bêche. Les routes suivent les eaux,
les fermes s’accrochent aux routes. Au sein des grands
quartiers définis par des watergangs d’importance, l’espace
est encore découpé d’un chevelu plus fin de fossés. Ces
eaux, grandes ou modestes, sont rarement accompagnées
de végétation, les arbres centenaires ici sont plutôt rares.
Seuls les peupliers, qui bien souvent accompagnent les
fermes, permettent d’enrichir les horizons arborés. L’eau
rurale est donc aujourd’hui jouxtée d’un bourrelet de
végétation herbacée ou dominent les phragmites et qui
paraît sauvage parmi tant de rigoureux labours tracés au
cordeau ! Bien que profondément enfouie au creux des
fossés, très profondément dans les villes de Calais et
de Dunkerque, l’eau ne semble pas ici faire l’objet d’une
amnésie volontaire. Des actions de mise en valeur viennent
même en habiller les rives, souvent limitées au strict usage
fonctionnel. Le monde agricole, qui compose la force
vive des wateringues, défend âprement les nécessaires
attentions que justifie la fragilité de ces espaces.
L’agriculture de la plaine appelle des savoir-faire inconnus
ailleurs ; il faut tout connaître des marées, apprendre à
composer avec le sel qui remonte du sol et accompagne
les vents, penser des assolements adaptés…
L’eau, la terre, le vent sont aux racines les plus profondes de ces
paysages ruraux. Les grands moulins ailés ont disparu du
paysage, la fée électricité ayant apporté ses solutions. Mais
un regard averti découvrira sans peine les innombrables
séchoirs qui ponctuent la plaine. Ils dressent leurs hautes
silhouettes percées de nombreuses ouvertures aux vents
fréquents qui balayent la plaine. On y séchait le tabac, la
chicorée, ces plantes qui, comme d’autres, affectionne