Terres lourdes
Les plateaux du Ternois
n’ont pas la même
physionomie que ceux
du Cambrésis. Moins
interminables, ils sont
également constitués
de terres plus lourdes,
davantage propices à la
culture des pommes de
terre et des betteraves
qu’à celle des céréales. La
plaine ne s’y dore donc
pas en été, pas plus que
les vents du printemps ne
font bruisser de lumière
les orges vert tendre. Leur
saison reine est l’automne,
ou ils fourmillent
d’hommes et de machines
boueuses.
La terre du Ternois est lourde, collante, marquée par l’activité
agricole et l’humidité, elle possède une matérialité toute
particulière et remplit l’espace visuel. Les ondulations présentes
sur les plateaux font de la plaine une mer terrestre et terreuse
qui constitue l’horizon des hommes. Le relief dispose ici d’une
infinité de courbes et de contre-courbes délicates. La terre
semble une argile polie plus que sculptée par des centaines
d’années de labours acharnés.
Sur ces grandes ondes brunes, l’agriculture dispose ses objets
avec une rigueur moindre qu’en plaine céréalière. La polyculture
pratiquée en Ternois émaille les sols de pâtures ou de labours ou
encore de bois. Ainsi un vallon verra un de ses coteaux labouré
et l’autre pâturé ; plus haut sur le plateau, une grosse ferme sera
annoncée par la présence de grandes prairies…
L’eau accomplit son oeuvre apaisante dans les vallées humides,
ce qui contribue encore à renforcer l’aspect chantant des
paysages. Les vallées de la Canche et de la Ternoise illustrent
parfaitement cet équilibre merveilleux et quasi archétypal
d’une harmonie entre le bâti et l’environnement. Les villages,
agrémentés de haies, d’herbe vive et de vieux arbres rassemblés
en petits groupes s’intègrent dans la maille bocagère avec
beaucoup plus de subtilité que de violence.
Un jardin d’ombres
L’ensemble des paysages du
Ternois donne l’impression
d’un jardin : les proportions
des espaces restent mesurées,
les arbres composent
sans cesse des niveaux de
perception des lointains.
L’impression est celle d’un
diorama ou les lignes sombres
des arbres composeraient les
rideaux de l’espace scénique.
Lorsque paraît le chevreuil
qui semble voler à quelques
centimètres de la terre
lourde de pluie, le paysage
tout entier trouve son sens et
s’accomplit.
Les bois ne sont pas si importants ni même si nombreux en
Ternois, et pourtant la mémoire s’imprègne des mille et un
boqueteaux qui accompagnent une rupture de pente, soulignent
un sommet, cachent une grosse ferme, habillent un village…
Ce sont des éléments essentiels dans les paysage du Ternois.
Ils composent des scènes et des vues qui parviennent à créer
des illusions de jardins anglais à l’échelle d’une campagne
tout entière. Cette référence à l’Angleterre des gentlemen
farmers est renforcée par la présence régulière des châteaux
et des belles demeures avec leurs allées principales plantées
d’arbres et la masse des houppiers des vieux arbres qui ombrent
les jardins. En été et à l’automne, la gamme des coloris de
la végétation spontanée des boisements conforte l’illusion,
lorsque sous une lumière toute nordiste, le vent soulève les
feuillages pour en révéler la brillance et l’infinité des nuances. La
campagne du Ternois doit beaucoup à ses arbres, à la conduite
que les hommes s’appliquent à leur donner en particulier dans
les vallées et dans les auréoles bocagères des villages : haies
basses taillées, arbres en têtards (saules et autres frênes),
grands sujets isolés, arbres fruitiers et enfin boqueteaux aux
lisières sculptées par les bouches animales…