Les paysages montreuillois présentent une indéniable sensibilité aux changements brusques. L’atout essentiel de ces paysages, cette quintessence exprimée sans perte d’espace comme en un condensé de bucolisme, est également leur premier handicap dès qu’il s’agit de faire face à la « modernité » ou aux évolutions.
Les implantations de parcs éoliens, qui nécessitent de dialoguer avec des paysages très amples et très vastes, sont malvenus sur les micro-plateaux du montreuillois. Certes, le cloisonnement des paysages permet d’isoler des cellules de vues, mais c’est l’échelle des éoliennes qui pose ici question. Ces paysages de l’intime, faits de recoins que l’on parcourt à pas d’homme, supportent mal les ruptures d’échelle. Comment, au voisinage d’objets « hors de proportion » ressentir l’équilibre ténu de l’espace d’un plateau, le moment fragile ou naissent les vallées, les lignes sombres des talus qui soulignent l’horizon. Lorsque l’immense rencontre le géant, un dialogue semble possible, une poésie peut naître. Mais dans les paysages montreuillois, le gigantisme est un despote, qui réduit au silence ou renvoie vers « l’ailleurs ». Ici, les plateaux ne sont pas des vides lointains qu’il faut franchir : par leurs dimensions et celles des vallées, ils font partie intégrante du cadre de la vie quotidienne. Le contraste entre l’implantation traditionnelle des habitations (faîtage parallèle aux courbes de niveau dans le sens de la vallée) et le volume (bas et allongé) est grand avec les habitations nouvelles.
La question des évolutions urbaines se pose dans des termes similaires, bien que moins prégnants. L’extension progressive et sans fin de l’urbanisation d’une rue villageoise, la développement de demeures ostentatoires juchées sur un talus et flanquées d’une pelouse constituent des atteintes pour le fragile équilibre visuel de ces espaces intimistes. Sur cette problématique, et alors même que le Montreuillois peut-être ressenti comme éloigné des grands enjeux urbains de la région, il y a nécessité d’aider les collectivités comme les particuliers à inscrire l’habitat d’aujourd’hui et de demain dans une continuité urbaine, plutôt qu’en rupture.
La vallée de la Canche pose une question rétrospective sur l’évolution radicale d’un paysage. La vallée est aujourd’hui largement dominée par les plantations de peupliers qui en occupent le fond, masquant le cours du fleuve comme les grands étangs qui ici et là l’émaillent. Il faut regarder des photographies aériennes et tenter de recoller les morceaux de la mémoire visuelle pour prendre conscience du décalage complet entre les paysages « cachés » de la vallée et ceux qu’elle offre aux regards. C’est aux abords de la ville de Montreuil que les regrets prennent le pas sur le constat objectif d’une utilisation nouvelle des sols. La peupleraie, par la hauteur de ses arbres, interdit également la perception du coteau d’en face. Le paysage symétrique, mais non jumeau, de la vallée perd son vis-à-vis et beaucoup de son équilibre… Lorsqu’une ville forte gravit et couronne un coteau et que la découverte de son site est interdite, le dépit décidément l’emporte, conforté par la perte floristique et faunistique des milieux humides de la vallée qui ici s’ouvre en plaine pour devenir estuaire à quelques kilomètres de là…