En matière d’ambiance paysagère, le marais est à l’évidence le point de mire du Grand paysage la puissance évocatrice de ses eaux démultipliées en canaux, watergangs, rigoles et autres fossés habitent pour longtemps les mémoires et les rêveries.. Les paysages audomarois proposent le plus souvent de délicates et subtiles « entrées » au marais Tout semble patiemment orchestré afin d’augmenter l’impact du changement d’état qu’implique sa découverte.
Le coteau Ouest est particulièrement riche en la matière, Il faut quitter la route nationale 43 et ses grands champs vallonnés pour se perdre dans des méandres villageois émaillés de cressonnières Lentement, les pâtures gagnent, les vallons secs des coteaux cèdent le pas à de maigres fossés puis à de large rivières. Enfin, voici le port les bâcoves s’imposent alors ou quelques fins chemins au bord de l’eau. Tout alors est différent, incertain, comme ces rigoles qui semblent se refermer faute de l’entretien patient qu’elles nécessitent Dans le monde aquatique, les êtres humains ne sont plus tout à fait aussi sûrs. Les gestes les plus simples sont ici compliqués, la terre ferme n’est pas un dû, mais une conquête sans cesse renouvelée, sans cesse mise en péril… l’Est, l’entrée au marais est moins théâtrale, bien que la vaste forêt de Clairmarais propose une somptueuse antichambre à ses eaux vertes. La rive est moins habitée… peut-être fut-elle moins sûre… Ou est-ce en raison de l’ancien abandon de l’abbaye de Saint-Momelin ? Dans Saint-Omer, le marais joue avec la ville et ses faubourgs.
Le marais cultive les regards qu’il suscite… Ainsi, celui des maraîchers construit sur une vision utilitariste et cartésienne, marquée par le règne des rectitudes (chemins d’eau, rangées de légumes, haies brise-vent, lignes d’arbres taillés en têtard, trajet direct et allure décidée de la bacôve chargée de légumes). Et celui des touristes construit sur une vision romantique et mythique du marais ou le paysage, faute d’entretien, est livré à l’abandon, porte ouverte au flou et à la courbe (berges effondrées, arbres non taillés. ).
Marcher sur l’eau
Le marais propose, avec
la bacôve, un moyen de
transport particulier qui
induit une perception
différente des paysages.
Le promeneur est en
situation instable sur son
frêle esquif, la peur est
proche. Le marais est
labyrinthique et donc
rapidement inquiétant.
La découverte du marais
est ainsi une expérience
sensorielle très forte.
Les aménagements
réalisés dans la réserve
naturelle du Romelaëre
témoignent de ce souci
essentiel : conserver à
la divagation en milieu
humide un caractère
exceptionnel.
Ou encore celui des naturalistes construit sur une vision scientifique et moins anthropocentrique que les deux précédentes, qui est marquée par une contemplation respectueuse et pleine d’humilité, mais aussi par le souci d’une construction fine du réel : identification et dénombrement d’espèces, localisation des nicheurs rares, grande attention aux signes et aux sons. Ce marais à la fois poétique et scientifique est placé sous le signe du silence voire du secret. Enfin, celui des Audomarois qui côtoient le marais au quotidien, le longent ou le traversent C’est un marais « décor » celui des aubes brumeuses et des masses de végétation grises agitées par les vents. Pour tous, le marais a peut être en commun d’être un ailleurs habité d’une nostalgie tenace souvenirs de belles journées et de grandes soirées, apprentissage de la nage, pêches mémorables, processions aquatiques et puis ce mystère..
La vallée de l’Aa, en amont de Saint-Omer, offre des paysages d’une grande et simple beauté qui mérite d’être soulignée ici II faut atteindre Blendecques puis remonter vers la source sans perdre la ligne d’eau (entre Saint-Omer et Arques, l’exercice est délicat), pour que la vallée trace son chemin en toute simplicité. Il faut laisser les usines ponctuer l’étroit fond de vallée et couler les prairies et les labours sur les versants et grimper les boisements sur les hauteurs et s’étirer les villages juste un peu au-dessus des eaux en crue.. pour qu’enfin se dresse fièrement le coteau calcaire de Lumbres, porte de la haute vallée de l’Aa.