Bucolique
L’eau et l’ombre
dominent sur ces images
peintes en Ternois ou
en Artois. C’est la part
douce, champêtre,
délicate qui semble
retenir l’attention du
XIXème siècle et du
début du XXème siècle.
Les paysages du Ternois, sous un angle historique et
artistique, mêlent avec une force remarquable douceur
et violence. Si le Ternois est une campagne paisible
qui possède son lot d’images bucoliques, des scènes
de ramassage des pommes de terre aux paysages
champêtres, il a aussi été décrit et poétisé comme une
terre de contrastes, entraînant ses contemplateurs vers
des sensations extrêmes et des solitudes profondes. Les
mots de Bernanos ont fait beaucoup pour nourrir cette
image d’une campagne reculée, sauvage et secrète, ou
le destin humain semble prendre une densité, une gravité
inconnue des lieux plus frivoles. Les paysages y gagnent
une dimension animale, ils possèdent une vie propre, une
respiration…
L’isolement du quotidien fut rompu par chaque grand
conflit. Ces terres tranquilles vibrent encore des pas des
soldats de tant et tant d’armées et particulièrement de ceux
de la sanglante bataille d’Azincourt en 1415 qui vit la plus
grande défaite française de la Guerre de cent ans. Les
plateaux en ont gardé une certaine rudesse, de nouveau
parcourue par les soubresauts de la guerre au XXème
siècle, et c’est une image rimbaldienne qui vient à l’esprit
à l’évocation de ces paysages, celle du sang du « dormeur
du val » irriguant le cresson bleu d’un vallon humide.
La dualité paysagère évoquée plus haut semble se
transmettre à l’histoire et à l’interprétation qu’en donnent
les artistes. Les plateaux résonnent des cris des batailles
ou des hommes seuls face à eux-même ou à leur Dieu ;
tandis que les vallées embaument les roses des jardins à
Hesdin ou à l’abbaye de Valloires et résonnent des chants
des oiseaux et des babillages des enfants. Le Ternois
invite à une interprétation sexuée des paysages : les
plateaux seraient des territoires masculins et les vallées
des espaces féminins.
Le village d’Artois ou vivait Bernanos est Fressin, situé
à la limite entre les paysages du Ternois et ceux du
Montreuillois. Les textes ci-après évoquent les routes
et chemins qui sillonnent « le doux royaume de la terre »
qu’aimait tant l’écrivain.
« Chemins du pays d’Artois, à l’extrême automne, fauves
et odorants comme des bêtes, sentiers pourrissants sous
la pluie de novembre, grandes chevauchées des nuages,
rumeurs du ciel, eaux mortes. »
« Ces routes changeantes, mystérieuses, ces routes pleines
du pas des hommes. Ai-je donc tant aimé les routes, nos
routes, les routes du monde ? Quel enfant pauvre, élevé
dans leur poussière, ne leur a confié ses rêves ? Elles
les portent lentement, majestueusement, vers on ne sait
quelles mers inconnues, ô grands fleuves de lumières et
d’ombres qui portez le rêve des pauvres. »
« La route suspendue entre ciel et terre. C’était là le chemin
qu’elle avait pris tant de fois, les dimanches d’automne, le
long des haies pleines de mûres. »
« Qui n’a pas vu la route à l’aube, entre ses deux rangées
d’arbres, toute fraîche, toute vivante, ne sait pas ce que
c’est que l’espérance. »
