Terre de passage
Les régions frontalières ont souvent l’expérience de la guerre.
La riche région Nord - Pas-de-Calais a, sans cesse dans son
histoire, été traversée et malmenée par les armées. La richesse
des sols agricoles a sans doute contribué à l’intérêt porté à ce
« carrefour » européen.
« Jamais on n’avait vu un hiver plus agréable. Les victorieux en profitèrent ; ils prirent au mois de décembre 1708 Gand, Bruges. Mais la nuit du 5 au 6 janvier 1709, il commença un hiver qu’on appellera jusqu’à la fin du monde le gros hiver. Il a commencé après cinq ou six jours de pluies et dura trois mois, d’une force incroyable, entremêlé de dégels, qui ne duraient que quelques heures, de neige que le vent chassait dans les endroits les plus bas. de sorte que tous les blés généralement furent gelés et on a point échappé un seul grain de colza. Pendant ce cruel hiver, on voyait des terribles signes ou phénomènes dans les cieux. Les plus gros chênes des bois et la plupart des autres arbres se fendaient de part en part ; les pruniers, abricotiers, cerisiers moururent ; et les autres arbres ou engelés ou à demi- gâtés. Dès que les marchands de grains virent les grains engelés, ils en haussèrent le prix très considérablement : et le grain que j’ai vendu l’année auparavant 14 patars le havot, je l’ai vendu 12 livres. C’était du méchant métilion, qu’on ne savait vendre auparavant. Ce qui comble notre misère, c’est que les français fuient de tous côtés. Ils ont abandonné Tournai sans troupes presque sans munitions ; et les alliés en ont fait le siège, siège fatal pour notre pauvre communauté, qui fait le tombeau de plus de trois cents de ses pauvres habitants en moins de trois mois.
Ce siège donc se fit le 26 de juin 1709. Les Hollandais, qui n’avaient point voulu ou osé forcer le maréchal de Villars aux lignes du Pont-à-Vendin, résolurent d’abandonner ce poste et feignant d’aller vers Ypres, vinrent droit à Rumegies. L’armée était dans la paroisse et nous ne le savions point. Nous prîmes une sauvegarde, et, ce jour, nous ne perdîmes rien ; ils allèrent prendre Saint-Amand. Mais le 27. Bon Dieu ! quelle journée ! Le jugement dernier sera-t-il plus effroyable ? Seigneur, quand je me veux faire une idée du dernier avènement, je me le représente. Comme j’avais une sauvegarde du prince d’Orange, la plus grande partie des paroissiens se sont retirés en la maison pastorale avec leurs bestiaux. Tous les meubles généralement étaient dans l’église. Plus de dix mille maraudeurs armés de pistolets de poche, de baïonnettes, d’épées, de grands bâtons sont venus fondre sur cette maison et sur l’église : et ils ont tout entièrement mis en ruine. Ils ont pris de plus de cinquante vaches et bien trente chevaux ; et, après avoir pillé, débilié hommes, femmes et filles, ils en ont violé plusieurs et tué à coup de bâton. »
Journal d’un curé de campagne (Rumegies) au XVIII siècle
« Sérieusement, Monseigneur, le roi devrait un peu songer à faire son pré carré. Cette confusion de places amies et ennemies pêle-mêlées les unes parmi les autres ne me plaît point. Vous êtes obligé d’en entretenir 3 pour 1. C’est pourquoi, soit par traité ou par une bonne guerre, si vous m’en croyez, prêchez toujours la quadrature, non pas du cercle mais du pré. »
Vauban, 1673 – lettre à Louvois