« La plaine est morne et ses chaumes et granges
et ses fermes dont les pignons sont vermoulus,
la plaine est morne et lasse et ne se défend plus,
la plaine est morne et morte - et la ville la mange.
Formidables et criminels,
les bras des machines hyperboliques,
fauchant les blés évangéliques,
ont effrayé le vieux semeur mélancolique
dont le geste semblait d’accord avec le ciel.
L’ orbe fumée et ses haillons de suie
ont traversé le vent et l’ont sali :
un soleil pauvre et avili
s’ est comme usé en de la pluie.
Et maintenant, ou s’étageaient les maisons claires
et les vergers et les arbres allumés d’ or,
on aperçoit, à l’infini du sud au nord,
au long de vieux fossés et de berges obscures
la noire immensité des usines rectangulaires.
Telle une bête énorme et taciturne
qui bourdonne derrière un mur,
le ronflement s’étend, rythmique et dur,
des chaudières et des meules nocturnes ;
le sol vibre, comme s’il fermentait
le travail bout comme un forfait,
l’ égout charrie une fange velue
vers la rivière qu’il pollue ;
un supplice d’ arbres écorchés vifs
se tord, bras convulsifs,
en façade, sur le bois proche ;
l’ ortie épuise aux cœurs sablons et oche
et les fumiers, toujours plus hauts, de résidus :
ciments huileux, plâtras pourris, moellons fendus,
lèvent, le soir, leurs monuments de pourritures. »Émile Verhaeren (1855-1916) - Les villes tentaculaires, 1885
Des hangars se succédaient, de longs bâtiments d’usine,
de hautes cheminées crachant la suie, salissant cette
campagne ravagée de faubourg industriel.Émile Zola (1840-1902) - Germinal
Les « pots-au-burre ». les Flahutes, dit-on aussi, ce sont les ouvriers flamands qui viennent travailler en France, et s’en retournent le soir en Belgique. Jadis, tous arrivaient pour la semaine entière avec leurs vivres. Ils n’achetaient rien, ne dépensaient pas un sou, vivaient à quatre et cinq dans un garni, et travaillaient avec cette patience courageuse de bête de labour qui caractérise la race ouvrière flamande. eux les rudes besognes, les tranchées. les terrassements. les pavages ; à eux aussi les places les plus pénibles dans la fabrique, aux chaufferies, aux filatures, aux déchargements… Toujours contents, ils riaient de la peine, avec leur vigueur de gens nourris sainement de choses naturelles et simples venues tout droit de leur sol.
Aussi de tout temps, le peuple de Roubaix-Tourcoing les a-t-il eus en grippe, ces gaillards bruyants et hardis, lents au parler, tenaces à la besogne. Et comme on les voyait autrefois passer la frontière, le lundi matin, débarquer des trains avec leur pain de six livres. leurs oeufs, leur lard, et aussi leur fameux pot de beurre, on les avait affublés du surnom patois de « pots-au-burre ».
s’en retournent le soir en Belgique. Jadis, tous arrivaient pour la semaine entière avec leurs vivres. Ils n’achetaient rien, ne dépensaient pas un sou, vivaient à quatre et cinq dans un garni, et travaillaient avec cette patience courageuse de bête de labour qui caractérise la race ouvrière
Aussi de tout temps, le peuple de Roubaix-Tourcoing les
a-t-il eus en grippe, ces gaillards bruyants et hardis, lents
au parler, tenaces à la besogne. Et comme on les voyait
autrefois passer la frontière, le lundi matin, débarquer des
trains avec leur pain de six livres, leurs œufs, leur lard, et
aussi leur fameux pot de beurre, on les avait affublés du
surnom patois de « pots-au-burre ».
De nos jours, ils viennent en vélo, chaque matin. Ou bien,
pour ceux qui habitent au loin, des convois d’autobus
payés par les usines s’en vont à l’aube les prendre en
Belgique, dans leurs villages, pour les ramener le soir.
six heures, aux frontières, c’est ainsi un défilé incessant de lourds autocars bondés de Flamands, hommes et femmes, entassés pêle-mêle. Ils parlent, fument, chantent, tandis que les énormes machines suivent les étroits pavés, à travers les Flandres et le Hainaut, s’arrêtant partout, desservant toute la zone frontalière, en un réseau serré, qui rayonne autour de Roubaix-Tourcoing jusqu’à Tournai, Courtrai, Roulers et Ypres.Sobres, satisfaits de peu, ces Belges ne dépensent
guère, rapportent chez eux la semaine entière, accrue
des quarante pour cent du change. Ils ont là-bas des
poules, des lapins, une chèvre, un cochon, que soigne
la femme. Eux, le dimanche, ils cultivent le bout de terre.
Et ils vivent ainsi, en paysans, attachés à leur village et
à leurs mœurs, race forte que n’entame pas le contact
des villes, et qui, quoique qu’elle passe par l’usine, garde
pourtant, étonnamment, les mœurs, l’allure, et toute la
mentalité des gens de la terre.Maxence Van der Meersch (1907-1951) - Quand les sirènes se taisent