« Les hâleurs vigoureux, dont le torse puissant
Ahane sous le câble entraînant la bélandre,
Vont tête basse ainsi que des bœufs traînassant,
Au bord de l’onde ou rêve un ciel couleur de cendre.
Ou le matin d’automne, accroche ses filandres,
Les peupliers aigus, les longs fuseaux frémissants
Tremblent dans le miroir du canal qui descend
travers les labours monotones des Flandres.
Le lourd chaland, sans bruit, glisse sur l’eau qui dort ;
Devant les éclusiers jappe le chien du bord,
Et près des volets verts de la blanche cabine,
La jeune marinière est debout à bâbord.
Cependant qu’au soleil, étincelante d’ors,
Sa chevelure rousse, un moment s’illumine ! »Amédée Prouvost (1877-1909) - Le poème du travail et du rêve, 1904
La plaine
Voici le mot qui vient et revient sous la plume pour évoquer le travail des hommes. Plaine à blés, plaine à charbon.
Est-ce en raison de cette association entre travail et relief que la plaine souffre aujourd’hui d’un si fort discrédit d’image ?
Mais au siècle de l’industrialisation dominante, la plaine prend une valeur symbolique très forte, le dessus comme le dessous. Les fruits de ces terres riches et la sueur des hommes s’associent en images fortes qui seront largement reprises dans la statuaire du XIXème siècle.
« Ridés à peine par la brise,
Lentement, avec majesté,
Les canaux, dans la plaine grise
Vont porter la fécondité :
Sang d’une glèbe vigoureuse
Ils vont traînant leur eau qui dort
Parmi la Flandre plantureuse
Et les grasses terres du Nord.
Au loin pointe un beffroi d’église,
Un moulin tourne, reflété
Album de beffrois…
Près de la berge ou l’eau s’irise,
Et vers l’horizon la cité
Se devine là-bas fumeuse.
Salut, pays aux moissons d’or,
Ma bonne Flandre plantureuse,
Et mes grasses plaines du Nord !
Pays de rêveurs, terre grise
Ou la poésie, en été,
Le soir par la brume imprécise
Se fait presque réalité,
Quand le vent donne sa berceuse
Sur la campagne qui s’endort,
Parmi la Flandre plantureuse
Et les grasses terres du Nord.
Sous le soc du puissant effort,
Ma bonne Flandre plantureuse,
Et mes grasses plaines du Nord. »Pierre Valdelièvre (1870-1918)
« Ici la plaine humide et noire
S’épanouit et livre au vent
L’inépuisable et chaste gloire
Des lins bleus et des blés mouvants.
C’est la grave et forte nature.
La mère aux seins démesurés
Qui fait lever de l’emblavure
Tout l’orgueil des labeurs sacrés.
Et qui, sentant sous les éteules
Frémir la mine aux longs couloirs,
Oppose aux dômes blonds des meules
Des montagnes de charbons noirs.
C’est la terre aux sonores villes,
Ou s’éveillèrent autrefois
Vos appels, libertés civiles,
Et vos révoltes, ô beffrois ! »André de Guerne (1853-1912)