Pour une stratégie de la connaissance , par Bernardo Secchi
Nos connaissances de la ville, du territoire, des populations qui les habitent et des leurs imaginaires, des changements et des projets qui les concernent, des institutions qui les gèrent, des réseaux matériels et immatériels qui les parcourent et les irriguent, des risques qui les dominent se sont fortement développées dans les années récentes. Collecte des données rendue toujours plus facile grâce au progrès des technologies informatiques, constitution par conséquence de data bases toujours plus extensifs, production d’études plus nombreuses e détaillées, production de projets à différentes échelles, débats et évaluation critique de tous ces matériaux ont contribué fortement dans les années récentes à satisfaire notre faim de connaissance de la ville et du territoire. La plateforme mise à disposition par la DREAL le confirme et en même temps pose problème : d’un coté on peut s’y perdre, de l’autre elle alimente notre envie d’en savoir encore plus.
En effet il y a, peut être, deux manières de développer nos connaissances : une manière « extensive » qui va à la recherche de tout ce qu’on voudrait et on pourrait connaître et qu’on ne connaît pas encore et une manière « structurée » qui essaie d’organiser nos connaissances, qu’on accepte comme étant toujours imparfaites, a partir des problèmes posés par le projet au sens large du terme1. Les deux manières ou stratégies ne se contredisent pas, l’une aidant l’autre ; elles impliquent néanmoins des approches et des temps différents. L’une donne lieu à un processus cumulatif et logiquement infini, l’autre finalise l’accroissement des nos connaissances aux problèmes que concrètement on veut étudier et résoudre. Ce qu’on propose aux groupes de travail est une stratégie structurée par phase, thèmes et leur priorité logique2.
Phases : on propose de dédier aux problèmes de la connaissance les prochaines réunions des Groupes de Travail : aux éléments de connaissances sur lesquels les projets se basent et qu’ils interprètent ; à une évaluation de la nature et de la suffisance du cadre de connaissances à partir duquel on peut proposer un « état des lieux » fiable et partagé.
Thèmes : toute grande métropole devra se confronter dans les années prochaines à trois grands groupes de problèmes. Chacune le fera d’une manière différente à partir de sa morphologie physique, sociale, économique et institutionnelle et il faut remarquer que les morphologies lilloises sont tout à fait spécifiques. On devra donc se confronter, dans l’ordre, aux problèmes environnementaux en partie produits par le changement climatique : gestion des eaux, de la biodiversité et de la préservation des forets et des espaces agricoles, réduction de la consommation d’énergie ; aux problèmes qui concernent la construction d’un cadre de vie, en particulier d’un cadre de vie urbain plus adéquat aux styles de vie contemporains et futurs des différents groupes sociaux : problèmes des inégalités sociales, du vieillissement soit de la population soit du stock des logements existant, problèmes de l’étalement urbain, de la nature en ville, des relations entre les lieux de travail et du commerce et la structure urbaine ; aux problèmes, enfin, de la mobilité : problèmes de l’accessibilité de l’extérieur et vers l’extérieur de l’AML et problèmes de l’accessibilité à l’intérieur de l’AML.
Priorités logiques : ces trois types de problèmes concernent depuis longtemps la « trame verte et bleue », la « trame urbaine » et les « réseaux de la mobilité » et on propose de les considérer liés par une priorité logique qui de la trame verte et bleue va à la trame urbaine et aux réseaux de transport.
La trame verte et bleue
Le changement climatique nous impose d’étudier des scénarios extrêmes, d’évaluer avec précision les risques dans la longue durée soit des inondations, soit de la désertification ; de connaître avec la même précision les zones inondables par les crues vicennales et centennales (en Hollande on tient compte des crues cinq centennales).
La philosophie du contraste des risques a changée récemment : plus de digues ou barrages (souvent constitués par des infrastructures de la mobilité) et de canalisations, plus de béton pour donner plus d’espace à l’eau, pour constituer des zone humides et contraster la fragilité de la ressource en eau potable, dans un contexte de régression de la bio diversité et des continuités écologiques.
Le changement climatique nous parle aussi de la nécessité de préserver, en évitant les risques des nuisances de déchet, l’espace agricole de qualité et d’éviter le cloisonnement des terres, comme la dégradation continue des espaces naturels non protégés.
Est ce que les plans existants donnent une réponse à ces problèmes ? comment ? par exemple : comment répondent-ils aux besoins en eau potable ? comment développent-ils l’agriculture périurbaine ? comment développent-ils une démarche intégrée ? les connaissances sur lesquelles ils sont basés sont-elles suffisantes ?
La trame urbaine
Dans les derniers 50 ans la population de l’AML a augmenté et la surface urbanisée encore plus. Il s’agit donc d’un développement de très faible densité avec la dissémination des petites zones d’extension monofonctionnelles, standardisées, et dépendantes de la voiture, indifférentes aux identités locales et avec une évidente sous-occupation des espaces bien desservis par les transports collectifs lourds. Contrer le déclin démographique et conforter l’hypothèse de regain et de nouvelle croissance alors que l’AML a la plus faible croissance de toutes les métropoles françaises n’est pas facile. Les hypothèses qui émergent impliquent qu’on donne la priorité au développement d’une nouvelle attractivité quotidienne et exceptionnelle pour valider le rebond espéré, qu’on optimise la structure polycentrique héritée en renforçant la multipolarité et en favorisant une organisation spatiale plus compacte et q’on essaye de combattre l’accentuation des inégalités sociales.
Bien que la transformation de l’économie métropolitaine soit engagée et se banalise sans effacer les traces du passé industriel le revenu par habitant reste inférieur à la moyenne des autres Métropoles en raison d’un taux d’activité faible et du déficit d’emplois de haut niveau. L’économie résidentielle est d’ailleurs nettement moins développée : peu de tourisme et faible poids des retraites. Il est fort probable que pour développer une nouvelle attractivité quotidienne et exceptionnelle, pour consolider le pouvoir d’attraction parmi les pôles européens, il soit nécessaire de dépasser les limites trop étroites de l’AML, voir large avec les voisins belges, inventer la forme urbaine durable de demain.
L’ALM se trouve à l’extrémité Ouest d’une immense aire métropolitaine, la North West Metropolitan Area, de Lille s’étend jusqu’à Bruxelles, Anvers, Rotterdam, Amsterdam et Köln. Cette forme urbaine dispersée s’oppose évidemment à la ville compacte et intense qu’on a connue dans l’histoire européenne et il n’est pas dit qu’elle soit moins durable que la ville compacte et intense.
A partir de quelles évaluations et connaissances les hypothèses qui émergent des plans existants ont été construites ? Que est-ce qu’il faudrait savoir en plus pour comparer différents scénarios d’urbanisation et leurs conséquences ? Pour optimiser l’usage du sol est-il nécessaire lutter contre l’étalement urbain ? est-il suffisant d’imposer une haute densité aux nouveaux quartiers ? rechercher partout la liaison étroite entre localisation des logements, des activités et des dessertes par les transports publics ?
Réseaux de la mobilité
La situation actuelle de l’AML semble être caractérisée par une certaine stabilisation du trafic routier interne et par la saturation des infrastructures à cause de la progression des échanges avec les territoires voisins, par la croissance de la fréquentation des transports publics et la faiblesse de la desserte du périurbain.
En effet l’ALM est un noeud important dans le réseau de la mobilité routière, ferroviaire et des canaux européens et pour cette raison joue un rôle important dans la logistique du Nord Europe. Les grandes infrastructures de la mobilité, les canaux, les chemins de fer, les autoroutes, dans l’histoire de la ville, ont entretenu des relations différentes avec la morphologie urbaine.
Est-ce que les tracés des grandes infrastructures sont toujours compatibles, à l’état actuel et dans les plans existants, avec la trame verte et bleue ? Quelles sont les relations que ces mêmes tracés construisent avec l’éponge des réseaux qui irriguent la AML ? Quelles sont les relations avec les centralités à l’intérieur et à l’extérieur de la AML ? Quel est le rôle du transport public dans les plans existants ? quelle est la « forme » du réseaux des transport public et ses relations avec la forme de la ville métropole ?
Bernardo Secchi, 18/02/2010 Pour une stratégie de la connaissance, Lille, 24 février 2010